. . . . OVIPAL - OBSERVATOIRE DE LA VIE POLITIQUE EN ALSACE . . . .

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Les électeurs des quartiers populaires issus des milieux de l’immigration extra européenne, qui se sont massivement abstenus au premier tour, sont-ils retournés voter pour le PS au deuxième tour ?

Résumé des conclusions

 

1 - La chute de la participation électorale au premier tour des municipales de 2014 concerne essentiellement les électeurs de gauche.

 

2 - L’accroissement de l’abstention pénalise beaucoup plus le PS, qui y perd, de 2008 à 2014, pratiquement le tiers de ses voix (38 %). Cette perte est plus élevée que dans l’ensemble de la Ville (32 %).

 

3 - On peut dans ce contexte faire l’hypothèse que la baisse drastique à la fois de la participation et du vote pour le PS, encore plus marquées dans les bureaux de vote de ces quartiers populaires, y est en rapport direct ou indirect avec le fait que les électeurs s’y rattachant sont issus pour une part importante de l’émigration extra européenne.

 

4 - L’augmentation de la participation entre le premier et le deuxième tour est donc quasiment uniforme et indépendant de la couleur politique. Elle n’est pas particulièrement significative de l’électorat de gauche des quartiers populaires, qui ne s’est pas plus mobilisé en faveur de Roland Ries au deuxième tour.

 

 

 

Commençons, pour déblayer le terrain, par une question : y a-t-il une corrélation entre la couleur politique dominante dans un bureau de vote et le taux d’abstention ? 

 

La réponse est oui. Pour le montrer on choisit les 10 bureaux de vote qui se sont le plus abstenus et les 10 qui ont le mieux voté.

 

Le bloc (A) des 10 bureaux de vote qui ont eu le plus faible taux de participation au premier tour des élections municipales de 2014 sont les suivants :

 

Canton

BV

% votants

6

 0603 - Ecole maternelle Paul Langevin 1

25

6

 0611 - Ecole élémentaire Catherine

35

6

 0614 - Ecole élémentaire Karine 1

34

6

 0616 - Ecole maternelle Gustave Stoskopf

32

6

 0618 - Gymnase de l'école élémentaire Eléonore

30

9

 0808 - Ecole élémentaire Albert Le Grand

33

10

 1001 - Mairie de Quartier du Neuhof

32

10

 1003 - Ecole du Rhin

33

10

 1004 - Ecole élémentaire Guynemer

31

10

 1005 - Ecole élémentaire Guynemer

31

 

Ces 10 bureaux de vote représentent un total de 11 027 électeurs. Seuls 3415 d’entre eux se sont exprimés, soit 31 % de participation.

A titre de comparaison, la moyenne de participation pour l’ensemble de Strasbourg est de 50 %.

 

En 2008, ces mêmes 10 bureaux de vote représentaient un total de 10 202 électeurs. 4122 d’entre eux s’étaient exprimés, soit 40 % de participation.

A titre de comparaison, la moyenne de participation pour l’ensemble de Strasbourg était en 2008 de 55 %.

 

On sélectionne ensuite le bloc (B) des 10 bureaux de vote qui ont le plus fort taux de participation au premier tour des élections municipales de 2014.

 

 

 

Canton

BV

% votants

4

 0402 - Institution Sainte-Clotilde

60

4

 0404 - Pavillon Joséphine

60

4

 0410 - Ecole élémentaire du Conseil des Quinze

61

4

 0412 - Institution Sainte-Clotilde

60

5

 0502 - Ecole élémentaire de la Robertsau

63

5

 0503 - Ecole élémentaire de la Robertsau

61

5

 0505 - Gymnase de l'école de la Niederau

61

5

 0509 - Ecole élémentaire de la Robertsau

63

5

 0510 - Gymnase de l'école de la Niederau

60

10

 1012 - Institut médico-éducatif IRIS

60

 

 

Ces 10 bureaux de vote représentent un total de 9712 électeurs. 5828 d’entre eux se sont exprimés, soit 60 % de participation.

A titre de comparaison, la moyenne de participation pour l’ensemble de Strasbourg est de 50 %.

 

En 2008, ces mêmes 10 bureaux de vote représentaient un total de 10 453 électeurs. 6413 d’entre eux s’étaient exprimés, soit 61 % de participation.

A titre de comparaison, la moyenne de participation pour l’ensemble de Strasbourg était en 2008 de 55 %.

 

La participation moyenne va du simple au double (30 % à 60 %) du bloc A au bloc B

 

Le bloc A (participation la plus faible) vote à  24 % pour Keller et à 39 % pour Ries

Le bloc B (participation la plus forte) vote à 44 % pour Keller et à 27 % pour Ries

 

Nous pouvons en déduire les éléments suivants :

 

·      Les bureaux de vote où la participation est la plus faible sont électoralement « de gauche ».

·      Les bureaux de vote où la participation est la plus forte sont électoralement « de droite».

 

Entre 2008 et 2014 :

·      la participation sur Strasbourg chute de 4,9 points,

·      dans les dix bureaux où la participation est la plus faible, elle chute de 9,4 points,

·      dans les bureaux de vote où la participation est la plus forte, elle ne chute pratiquement pas.

 

Conclusion n° 1 :

La chute de la participation électorale au premier tour des municipales de 2014 concerne essentiellement les électeurs de gauche.

 

 

 

Caractérisons maintenant les 10 bureaux de vote du bloc A (qui ont eu la participation la plus faible) sur le plan de la sociologie et de la politologie.

 

Politologie :

 

Le tableau ci-après nous indique comment votent ces bureaux de vote en 2014 :

 

Canton

BV

FN RBM (%)

Keller (%)

Ries (%)

6

603

9,4

25,4

31,1

6

611

8,2

25,4

48,8

6

614

11,9

20,9

41,0

6

616

15,7

23,8

34,3

6

618

9,9

26,6

41,1

9

908

11,1

21,6

40,4

10

1001

11,1

29,1

36,7

10

1003

14,8

20,9

41,2

10

1004

16,0

27,2

32,9

10

1005

9,7

17,0

39,6

Moyenne

12

24

39

 

 

Pour mémoire, les scores obtenus sur l’ensemble de la ville sont de 11 % pour le FN/RBM, de 33 % par Fabienne Keller et de 31 % pour Roland Ries. Quasi uniformément, ces 10 bureaux votent donc de façon préférentielle pour Roland Ries.

 

C’était également  le cas en 2008 sauf que Roland Ries y faisait un score de 52 % et Madame Keller 23 %.

 

Dans un contexte où il y a 7,5 % d’inscrits supplémentaires (soit 825 électeurs supplémentaires) sur les listes électorales de ces 10 bureaux, et en termes de voix obtenues :

 

  • Roland Ries passe de 2154 à 1330 voix, avec donc une perte de 824 voix  (perte de 38 %)
  • Fabienne Keller passe de 959 voix à 816 voix, avec donc une perte de 143 voix (perte de 15 %).

 

 

Conclusion 2 :

L’accroissement de l’abstention pénalise beaucoup plus le PS, qui y perd, de 2008 à 2014, pratiquement le tiers de ses voix (38 %). Cette perte est plus élevée que dans l’ensemble de la Ville (32 %).

 

 

Sociologie

 

La sociologie de ces bureaux de vote (bloc A) indique que les électeurs s’y rattachant sont, pour une part importante issus des milieux populaires, et notamment des populations françaises issues de l’immigration.

 

L’habitat correspondant à ces bureaux de vote est pour une part importante de l’habitat social, critère essentiel pour déterminer le niveau de revenus et l’appartenance sociale des électeurs concernés.

 

La sociologie des territoires concernés fait apparaître, sans qu’il puisse être possible de vérifier statistiquement cette observation qualitative, qu’ils comportent, outre une population « de souche » et une population issue par mobilité d’autres quartiers ou d’autres villes françaises, une forte population composée soit d’émigrés extra européens étrangers, soit de français naturalisés issus de l’émigration extra européenne, soit de français issus de cette même immigration et devenus majeurs récemment.

 

L’accroissement de la population électorale y est de 7,5 % entre 2008 et 2014 (il est de  4,8 % pour l’ensemble de la Ville de Strasbourg). Entre ces deux dates, si l’on suit les observations faites par le géographe et politologue Laurent Chalard (European centre for international affairs), le renouvellement de l’électorat s’est fait pour une part importante par le retrait (pour cause de décès liés au vieillissement) d’une population essentiellement « de souche » et par l’ajout d’une population de français naturalisés issus de l’émigration extra européenne, et de français issus de cette même immigration et devenus majeurs récemment[1].

 

Différentes études ont mis en avant le fait que les électeurs français issus de l’émigration extra européenne ont une forte tendance à voter à gauche, et notamment pour le PS, dont ils constituent jusqu’à présent, avec les fonctionnaires, un des « noyaux durs » électoraux.

 

Conclusion n° 3 :

On peut dans ce contexte faire l’hypothèse que la baisse drastique à la fois de la participation et du vote pour le PS, encore plus marquées dans les bureaux de vote de ces quartiers populaires, y est en rapport direct ou indirect avec le fait que les électeurs s’y rattachant sont issus pour une part importante de l’émigration extra européenne.

 

 

Ce comportement de retrait abstentionniste, comme alternative au vote de gauche qui le caractérise sur le territoire concerné, au premier tour des élections municipales de 2014, s’est-il « retourné » au deuxième tour ?

 

Et, dans ce cas, est-il lié à des caractéristiques culturelles et sociologiques de cet électorat qui permettrait de prévoir un maintien plus permanent de cette abstention massive (là où un « retournement » est plus probable dans d’autres couches électorales favorables au PS).

 

 

L’étude des résultats du deuxième tour montre une augmentation de la participation dans le bloc A. Celle-ci est de l’ordre de 37 %, soit 6 points de plus qu’au premier tour.

On remarquera que la participation sur l’ensemble de Strasbourg grimpe de 5 points.

On remarquera également que la participation dans le bloc B grimpe également de presque 5 points.

 

Conclusion n° 4

L’augmentation de la participation entre le premier et le deuxième tour est donc quasiment uniforme et indépendant de la couleur politique. Elle n’est pas particulièrement significative de l’électorat de gauche des quartiers populaires, qui ne s’est pas plus mobilisé en faveur de Roland Ries au deuxième tour.

 

 

Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette absence de revirement et, peut-être, un ancrage durable dans le rejet du vote PS parmi les électeurs issus de l’immigration extra européenne. Il devrait faire l’objet d’une exploration systématique. On pourra faire dans ce cadre explorer les questions suivantes :

 

·      L’ « affaire Dieudonné » n’a-t-elle pas laissée des traces importantes dans cet électorat, lui renvoyant une image de marginalisation des populations émigrées dans le débat politique et social ?

 

·      La faiblesse de l’acculturation à la culture démocratique ne conduit-elle pas à des comportements politiques de défiance et de rejet plus prononcés ?

 

·      Le repli communautaire n’isole-t-il pas ces électeurs de l’expression politique commune ?

 

·      Un  « horizon d’attente » élevé vis-à-vis des instances politiques ne conduit-il pas à des désillusions plus fortes, conduisant à l’abstention durable ?

 

Ces questions pourraient faire l’objet d’une prochaine étude de l’ovipal.

 

 Philippe Breton



[1] En s’appuyant sur les données démographiques compilées par Michèle Tribalat, Laurent Chalard estime pour la France entière, l’ajout de cette population, depuis 2008 à 627 000 personnes toutes origines confondues entre 2008 et 2012, auxquelles il faut ajouter les nouveaux inscrits de plus de 18 ans, français descendants des immigrés extra-européens, soit 100 000 personnes par an en moyenne, soit 600 000 personnes entre 2008 et 2013. (voir http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2014/03/21/31001-20140321ARTFIG00351-municipales-l-enigme-du-vote-des-francais-d-origine-extra-europeenne.php)



01/04/2014
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